Pour commencer la série, intéressons-nous de plus près au curieux tableau Lecteurs de la Gazette van Gent, du peintre et dessinateur gantois Louis Tytgadt (Lovendegem 1841 – Gand 1918). Dans la représentation, le peintre a réuni six individus de la classe populaire dans un espace indéfini. Au centre, un homme barbu est plongé dans la lecture du journal populaire gantois. Autour de lui, deux personnages se détachent nettement. À droite, un vieil homme vêtu d’une veste brune, portant une casquette d’ouvrier sur la tête et une écharpe rouge autour du cou, s’appuie sur une canne. À gauche, au premier plan, un homme qui fume la pipe lui sert de repoussoir. Les deux personnages ne portent pas le regard sur le contenu du journal, mais prêtent plutôt attention à l’homme qui le tient : celui-ci semble être en train de leur faire la lecture.
Tytgadt abordait-il ainsi une problématique sociale ? Les chiffres des environs de 1875 indiquent effectivement que l’analphabétisme était encore largement répandu à l’époque : plus d’un quart des enfants ne mettaient jamais un pied à l’école, et un conscrit sur cinq ne savait ni lire ni écrire (source). Ce n’est pas la seule fois que Tytgadt s’est attaqué, avec prudence certes, à une question sociale préoccupante. Les caractéristiques du tableau font penser à une scène de moisson de sa main, qui fait partie de la collection du MSK : deux fillettes se tiennent debout au milieu d’un champ avec une gerbe de blé dans les mains. Le tableau évoque sans détour le travail des enfants, alors très courant à la campagne (et en ville).