L’exposition Entre amis s’ouvre sur une salle consacrée aux sculptures médiévales. Une petite statue en marbre disposée au centre de la pièce y tient la vedette : une Vierge à l’Enfant, un don manuel de la famille de l’artiste plasticien Philip Van Isacker, visible aujourd’hui pour la première fois au MSK.
La collection de sculptures médiévales du MSK, petite mais élégante, est un pendant intéressant et un précieux complément à la collection de peinture sur panneau de la même période. Le musée la doit presque entièrement à Fernand Scribe. Dans sa collection personnelle extrêmement éclectique, il conservait précieusement deux statues du début du Moyen Âge et une dizaine de sculptures de style gothique tardif. En 1900, il a offert une tête d’apôtre du xive siècle de la main d’un sculpteur français anonyme ; les autres statues, parmi lesquelles se distinguent surtout les magnifiques sculptures en albâtre de style gothique tardif, ont été léguées en 1913.
L’une d’entre elles, la monumentale Vierge à l’Enfant en albâtre de style eyckien, a été baptisée officieusement Madone Scribe, ce qui en dit long. Après le legs de Scribe, les Amis du Musée ont pris la relève et ont apporté de précieux compléments au noyau de la collection, avec notamment la donation en 1986 de la Madone sur le croissant de lune de la période 1430–50. En 1988, le musée a décidé de faire l’acquisition du « chaînon manquant » dans l’ensemble en albâtre : une statue du début du xvie siècle d’un Ange flottant. Cette pièce d’une grande qualité artistique illustre la transition stylistique entre le gothique tardif et le maniérisme.
L’ensemble est resté inchangé au cours des décennies suivantes, jusqu’à ce qu’en 2021 une première statue médiévale en marbre fasse inopinément son entrée dans la collection. La Vierge à l’Enfant en pied est un don manuel exceptionnel de la famille de l’artiste plasticien Philip Van Isacker et est montrée pour la première fois au public dans Entre amis. Van Isacker a grandi avec cette sculpture. Elle était disposée sur un socle dans le living de son grand-père Philippe Van Isacker, homme politique catholique et ministre dans la période 1931–38, de qui il a finalement hérité la pièce. Celui-ci l’avait reçue en héritage de son père Philogeen, qui était devenu propriétaire de la sculpture monumentale le 15 avril 1892 suite à l’achat d’un terrain à la limite entre les communes de Gits et de Lichtervelde1. La parcelle comprenait une chapelle de campagne flanquée de deux tilleuls, appelée aujourd’hui « la chapelle blanche » (parfois aussi chapelle Verhelle et chapelle Dierendonck), dans laquelle la statue était exposée comme objet de dévotion2. Aux dires de la famille Van Isacker, les gens qui fréquentaient la chapelle trouvaient cependant la madone de marbre un peu morne et ils avaient demandé à la famille de la remplacer par un exemplaire un peu plus coloré et garni de tulle.
D’après l’état actuel de l’analyse stylistique en cours, la statue, qui se distingue par la qualité du drapé du manteau et de la robe de Marie et par la finesse avec laquelle sa main droite a été représentée, est d’origine française et date de la période 1350–703. Selon toute vraisemblance, la tête de Marie est toutefois un ajout ultérieur, pour l’instant difficile à dater, dans le style du xive siècle. Tout comme les traces évidentes de dégradation observées sur quelques sculptures de l’ancienne collection Scribe, cet ajout est peut-être à mettre en rapport avec les destructions opérées pendant la Fureur iconoclaste. Le geste exceptionnel de la famille Van Isacker renouvelle l’attention portée aujourd’hui à la petite sous-collection de sculptures médiévales, tant par les chercheurs que par le public de visiteurs du musée.
1 Nous sommes extrêmement reconnaissants à Luc Haegebaert, Rik Pollet et Hendrik Vandeginste de l’aide qu’ils nous ont apportée pendant les recherches sur la provenance de l’œuvre. Le dernier cité a retrouvé l’acte de vente de la parcelle à Philogeen Van Isacker (1855–1933) dans les archives de la ville de Bruges. L’acte précise que la parcelle E132B a été vendue à Philogeen par les charretiers Reynaert et Vandendriessche de Roulers. Ceux-ci avaient précédemment acheté la parcelle à Adèle et Josephine Gérard, commerçantes de Roulers, par acte passé devant le notaire Crevits de Rumbeke le 8 avril 1885. La parcelle était décrite comme suit : Gemeente Gits / 4° Op de overzijde van de straat eene partie zaailand voor heden in twee perceelen, deel meersch van westen, waarop gebouwd is eene kappelle, te samen groot negen en zestig aren tachtig centiaren, gekend by kadaster sectie E nummers 132a, 132b, 133 en 138.
² Pour plus d’informations sur la chapelle, voir le guide communal sur la « kapelroute » de Lichtervelde : https://issuu.com/cultuurdiens...
³ Nous tenons à remercier les spécialistes suivants pour leur avis à propos de l’analyse stylistique : drs Marjan Debaene, dr Sophie Jugie, dr Ingrid Geelen, prof. dr Maximiliaan Martens, dr Hans Nieuwdorp, dr Pierre-Yves Le Pogam et Judy Leroy